L. Véray: La Grande Guerre au cinéma

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Titel
La Grande Guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire


Autor(en)
Vérary, Laurent
Reihe
Ramsay Cinéma
Erschienen
Paris 2008: Éditions Ramsay
Anzahl Seiten
240 pp., ill.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Rémy Pithon

On n’en finira jamais d’écrire sur la Première Guerre mondiale, quand ce ne serait que parce qu’elle a si profondément marqué les esprits que tout un chacun, même le plus indifférent au souvenir de l’événement, en porte en lui une image mentale. C’est précisément l’élaboration de cette représentation individuelle et collective de la Grande Guerre, au cours d’un siècle d’histoire, qu’a étudiée Laurent Véray, sur la base de ce que le cinéma a donné à voir dans quelques-uns des très nombreux films qui ont été consacrés à ce conflit majeur. L’auteur précise clairement et explicitement dès son Introduction quel est le fil conducteur de son travail: «L’important n’est pas de s’attarder sur le fait que des films restent fidèles ou non à la réalité historique de l’événement, mais de chercher à savoir pourquoi, comment et à quelles fins tel ou tel d’entre eux apparaît à un moment donné. En d’autres termes, il faut aller au-delà du simple constat des anachronismes et des inexactitudes plus ou moins grossiers, pour s’interroger sur ce qu’ils signifient. En effet, ce sont bien souvent les écarts entre la vérité de l’histoire et sa représentation qui indiquent le sens. A l’écran, il est courant qu’une guerre en cache une autre» (p. 8). Point de vue que les trop rares historiens spécialisés dans ce type de recherches ne peuvent qu’approuver pleinement; mais qui fera peut-être sursauter quelques-uns des autres, ce qui justifie qu’il soit affirmé d’emblée, et cela d’autant plus que le livre paraît dans une collection qui ne s’adresse nullement à un cercle d’initiés.

On pouvait même s’attendre à de la vulgarisation sans grand intérêt scientifique. Mais en fait, on se trouve devant une recherche de très haut niveau, dont l’auteur met les résultats, ainsi que les réflexions que ceux-ci suscitent, à la portée d’un vaste public. La qualité et la richesse des références et celles de la bibliographie sont parfaitement satisfaisantes. On apprécie également la présence d’un index. Le corpus des films pris en considération est vaste, quand bien même d’évidentes considérations matérielles ont imposé des choix, en l’occurrence une priorité accordée aux films français et à ceux des films étrangers qui ont suscité le plus large écho en France. Il faut signaler aussi que, si l’ouvrage est richement illustré, les très nombreuses reproductions de plans de films, de photos de tournage et de matériel publicitaire – un grand nombre d’affiches notamment – ont manifestement été sélectionnées en fonction de ce que le texte tend à démontrer, et non pour jouer le rôle banal d’«illustrations»: ce matériel iconographique – par ailleurs superbe – a donc une véritable valeur documentaire, ce qui n’est pas toujours le cas dans des publications de ce genre.

La lecture du livre n’apprend pas grand-chose sur la guerre de 14–18 (sinon en ce qui concerne le comportement des autorités envers les gens de cinéma), car tel n’est pas son propos. Elle est en revanche très enrichissante sur les périodes postérieures, qui ont produit, à propos de la Grande Guerre, des films souvent très révélateurs des préoccupations qui étaient dominantes au moment de leur réalisation: l’alternance du pacifisme et de la volonté de défense entre les deux conflits mondiaux, la mémoire de la Première Guerre revue à la lumière de la Seconde, puis à celle des guerres de décolonisation (Indochine et Algérie), etc. Les pages consacrées par exemple à La grande illusion (Jean Renoir, 1937) ou à Paths of Glory (Stanley Kubrick, 1957) sont particulièrement révélatrices à cet égard. En ce sens, le cinéma joue, au 20e siècle, un rôle comparable à celui de la peinture d’histoire dans les périodes antérieures, mais avec une diffusion publique évidemment beaucoup plus étendue.

La spécialisation de Laurent Véray, qui a déjà publié quelques travaux très remarqués, explique que les pages consacrées aux années antérieures à 1960 – d’ailleurs les plus nombreuses – sont plus convaincantes que celles qui suivent. Mais cela n’est guère important. D’autre part un livre aussi riche et aussi documenté suscite évidemment quelques regrets ou quelques critiques mineures, qu’on ne se donnerait pas la peine de mentionner s’il s’agissait d’un travail d’une qualité moindre. On taquinerait volontiers l’auteur sur son obstination à appeler «Cinémathèque de Lausanne» l’institution de portée nationale qu’est la Cinémathèque suisse… Plus sérieusement, et même si on sait bien que les choix sont toujours difficiles et douloureux, on regrette que certains films significatifs aient été traités très rapidement, voire laissés de côté: Paradis perdu d’Abel Gance (1939), par exemple, expédié en quelques lignes (p. 189), ou Paix sur le Rhin de Jean Choux (1938), qui est uniquement mentionné dans la filmographie. On est également quelque peu surpris que, dans un panorama aussi vaste, il soit fort peu question des films évoquant les difficultés qu’ont éprouvées certains anciens combattants à se réintégrer, économiquement et psychiquement, dans la vie civile; il est vrai que c’est une thématique beaucoup plus présente dans le cinéma américain que dans le cinéma français, comme le montre notamment l’exemple illustre de Gold Diggers of 1933 (Mervyn LeRoy et Busby Berkeley, 1933): c’est en effet dans cette comédie musicale qu’on trouve le témoignage peut-être le plus bouleversant sur le sort des jeunes gens qui, après avoir combattu sur le front français en 1917–1918, sont devenus les chômeurs de la Grande Dépression, sous la forme d’une séquence de music-hall qui clôt ce film sur une note tragique totalement inattendue.

La conclusion de l’étude de Laurent Véray peut paraître décourageante, du moins telle qu’il l’exprime en reprenant un constat formulé par les collaborateurs de l’Historial de Péronne, qui «ont le sentiment, plus que jamais, qu’un fossé s’est creusé entre l’imaginaire de la Grande Guerre, qui s’impose de nos jours dans les médias, et la connaissance de celle-ci révélée par la nouvelle historiographie. ‘Du point de vue de l’espace public’, dit Annette Becker, ‘il est clair que nous avons perdu depuis longtemps’» (p. 221). Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi? Nos grands-parents ne construisaient-ils pas leur représentation du 17e siècle davantage sur Alexandre Dumas que sur Ernest Lavisse? Et nous-mêmes sommes-nous à l’abri de semblables processus mentaux, s’agissant de périodes que nous connaissons mal? Il faut simplement que l’historien ne se trompe pas d’époque: les mousquetaires de Dumas devraient intéresser celui qui étudie la France de la Monarchie de Juillet, et non celle du 17e siècle; et les films de Gance ou de Renoir, le spécialiste des années 30, et non celui de la guerre de 14–18. Dans cette optique, les historiens n’ont pas «perdu depuis longtemps»; ils ont au contraire de nouvelles sources à exploiter. Si le lecteur ne retenait du livre de Laurent Véray que cela, et qu’il y réfléchît quelque peu, ce magnifique travail trouverait déjà une éclatante justification.

Citation:
Rémy Pithon: compte rendu de: Laurent Véray: La Grande Guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire. Paris, éditions Ramsay, 2008 (Ramsay Cinéma). Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 4, 2009, p. 480-482.

Redaktion
Veröffentlicht am
31.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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